2e Festival de Musique luxembourgeoise

Luxemburger Wort

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«Synchronoptisches Theater» de Anna Recker

Le 2e Festival de Musique luxembourgeoise, organisé par la «Lëtzebuerger Gesellschaft fir Nei Musek» (LGNM), a fait son entrée en scène au Théâtre d’Esch-sur-Alzette il y a de cela deux semaines avec une production alliant plusieurs formes d’expression dans une sorte de théâtre total. Anna Recker utilise l’espace scénique de façon intéressante, en se servant de matériaux très différents. La transparence des éléments de décor permet à l’action de se dérouler sur plusieurs plans. Leur réflexion nous montre l’action en double, la réalité et la projection de celle-ci; leur mobilité ouvre les dimensions données de l’espace et transforme celui-ci au gré du metteur en scène. Une salle de théâtre, dans sa conception rigide scène-public, n’offre évidemment pas toutes les possibilités d’intégration du spectateur souhaitées. Le public s’en est ressenti – il est resté plus ou moins étranger au ‘happening’. L’idée de laisser jouer les musiciens dans les rangées et de faire sortir les protagonistes dans la salle n’a rien changé à l’impression du spectateur d’être en dehors de l’action. Le spectacle a commencé, en silence, avec les danseurs se déplaçant d’un côté de la scène vers l’autre, symbolisant le passage, lent et sûr, d’une étape à une autre. Les mouvements se font sans précipitation, leur rythme toujours soutenu n’entrave en rien le cheminement des pas décidés des danseurs. La musique de Claude Lenners nous entraîne dans un monde teinté d’exotisme. Le rythme des tablas, en progression constante, nous emmène dans sa ronde de plus en plus excitante – accompagné de diapositives sur fond mobile dirigées par un chef surgi des profondeurs de la scène. Le deuxième tableau, une composition de Camille Kerger, met en scène trois percussionnistes s’amusant pour ainsi dire au jeu de la marelle et créant le fond sonore pour l’action. D’une sorte de nid géant naissent des créatures primitives, rampant et glissant par terre. Ces êtres non définis se développent lentement en créateurs – dans des papiers disposés au sol, ils coupent des formes «humanoïdes», qu’ils accrochent à un niveau plus élevé du nid. Les danseurs, au deuxième plan de la scène, continuent à se mouvoir avec la même dynamique, très belle dans leur propre passage, mais gênante ici, parce qu’on ne sent aucune évolution dans leur façon de bouger. Ils ne suivent donc pas l’idée de développement clairement représentée par les dessinateurs-acteurs sur scène. Visuellement ce tableau est très suggestif et compte parmi les moments forts de la soirée. La troisième partie nous plonge musicalement dans une atmosphère très spéciale. Le compositeur Patrick Blanc, lui, sait meubler tout l’espace. Entre les musiciens, qui jouent live en salle, et les préenregistrements sur magnétophone se crée une tension, favorable au voyage dans des régions sensitives personnelles, à tel point qu’on oublie ce qui se passe sur scène. Les dessinateurs-acteurs-danseurs qui changent de plateau et se dirigent dans la salle pour leur marche vers d’autres buts lointains, nous font revenir à l’activité – nous sommes invités à les suivre au premier étage. Là, le spectacle se termine en petits groupes sur des discussions qui mettent en question l’expression même de «théâtre total». Au sens le plus large, elle veut dire, se servir de plusieurs genres d’expression pour créer un tout, qui engloberait les possibilités de chaque art en laissant libre cours à la spontanéité et à la naissance éventuelle d’une nouvelle forme. Dans le «Synchronoptisches Theater» de Anna Recker, les différentes formes d’expression de l’art coexistent, sans arriver à s’inspirer mutuellement, sans choc d’idées qui aurait pu faire jaillir l’étincelle. Le fossé entre la sensation auditive et l’expérience visuelle est profond; il plonge le spectateur dans un sentiment dualiste de tiraillement entre écouter et regarder. La plupart du public n’a pas vécu cette expérience «synchron», mais départagé entre deux formes de sensibilité. La sensibilité auditive l’a emporté en force d’expression, ce qui n’est peut-être pas le but d’une création jouant sur le terme «synchron», mais ne choque pas du tout dans un festival qui, après tout, est consacré à la musique. Terpsichore

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