Passionnant infini

Luxemburger Wort 01/2000

Nelly Lecomte

A l’infini semble poussée la recherche intellectuelle sur la figure géométrique de l’hexagone, que vient agrémenter par-ci par-là quelques infimes détails poétiques quasi superflus par excès de réalisme. Mais le réalisme est illusoire. Des espaces sont construits par une élaboration intellectuelle, des espaces qui n’existent pas, mais qui sont le produit d’une élaboration ad absurdum d’une schématisation de l’espace. Anna Recker, avec son immense talent de dessinatrice, ne retient que la figure qui permet à l’esprit de saisir l’espace et la met en perspective. Juxtaposition et combinaison de la même forme répétée à satiété et mise en perspective donnent lieu à de pures constructions, réseaux ou résilles, des alvéoles d’abeilles, vus de divers points de vue. Encore fallait-il trouver la bonne figure pour ce faire. Et Anna Recker d’opter pour l’hexagone, composé de six éléments, à disposer de telle sorte à donner le polygone à six côtés. Ses paysages ne sortent pas des tripes, mais de la tête. Elle crée son architecture bien personelle, d’une manière ludique et expérimentale. L’hexagone est exploré par divers techniques, en bois, en granit, en papier, … Il est vidé de ses entrailles, déplié, décomposé, assemblé, découpé transversalement, assorti à d’autres figures géométriques comme le triangle, l’étoile ou le carré, transformé en labyrinthes, … La liberté est dans l’inachevé dans la nouvelle étape de sa recherche. Avant, elle était dans le brouillard qui s’étendait à l’horizon. Maintenant, la composition s’ouvre sur l’esquisse analysante, décomposante, fournisseur d’indices. L’esquisse est ouverture sur l’ailleurs, sur ce qui dépasse ce qu’on vient de trouver, elle s’ouvre à l’infini, sur les dimensions inexplorables de l’esprit. Tout comme la combinaison des carrés représentant des surfaces à motifs est laissée à la libre appréciation du public. A présent, l’oeuvre finie s’ouvre sur une infinité de possibilités qui s’offrent au libre choix du créateur. Comme la vie au cadre fixe qui n’est qu’iceberg par rapport à l’inconnu du subconscient. […] Alors qu’Anna Recker a consacré de longues années à l’exploration des surfaces, elle tente à présent de percer le mystère intérieur des espaces qui étaient son ancien cheval de bataille. Et de nouveau, la pierre revient comme une obsession, fascinante matière, qui incarne le temps s’étendant à l’infini, car l’artiste procède de nouveau à une pétrification de la figure géométrique élue par ses soins, l’hexagone, auquel elle donne l’aspect de pierre à sa surface, traversée de veinules, couverte de poussière, …, sujette à l’érosion de la nature. Si l’on pousse l’hypothèse de recherche plus loin, nous pourrions arriver de nouveau à ses anciens paysages monumentaux, imposants, archéologiques, abandonnés par toute âme qui vive. De nouveaux Pétras, creusés dans la roche, tout autant que poussant en relief, comme les hexagones sont à double face, des Janus mathématiques, extrêmement riches en variations possibles, une face à l’air et une face souterraine. Et puis ce qui reste de l’hexagone quand ses angles sont arrondis, n’est-ce pas le cercle, si bien que notre point d’arrivée serait la circularité ? Si tant est que l’artiste consente à faire participer le public à ses études, nos spéculations mathématiques nous amèneraient à la création d’un ordre nouveau, pour nous rappeler une fois de plus que le monde extérieur ne serait qu’une projection de l’intelligence humaine.

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