Anna Recker et les lotissements du ciel

Le Jeudi 27.10.2011

«Das Blaue vom Himmel»

Jamais Anna Recker ne se sera tant frottée à l’actualité. Dans sa nouvelle exposition, l’Euro, les banques et même la bulle immobilière apparaissent comme des mirages promettant la lune.

Anne Recker, dont l’œuvre évoluait jusque-là dans de pures formes géométriques signe ici un engagement concret à la beauté bien amère. Il faut dire d’emblée que rien dans ces travaux n’a perdu de l’atmosphère éthérée des constructions géométriques qui font la marque de fabrique de l’artiste.

Tout en continuant d’explorer de complexes polygones entrelacés ou des paysages mégalithiques, Anna Recker poursuit un changement de perspective entamé au cours des dernières années: quittant les tons de terre et de pierre de ses débuts, elle lève le regard vers d’autres sphères. Or, cette «élévation» n’est pas synonyme d’un départ des préoccupations terrestres. Bien au contraire.

Les admirateurs d’Anna Recker seront surpris d’y apercevoir des signes qui ne trompent pas: le logotype d’une banque allemande flottant sous une grêle de météorites, les étoiles européennes parmi les décombres ou encore un € disparaissant dans le bleu du ciel.

Le bleu du ciel, selon l’expression allemande, c’est ce que le marchant malhonnête promet aux crédules. Tout comme les «talents d’étoiles» (Sterntaler) censés tomber des nues, ou encore les «placements sécurisés» (Sichere Anlagen), qui pastichent ouvertement la bulle immobilière. Dans cette expo, les titres portent un double sens mélancolique. De manière plutôt inhabituelle, ils relient l’actualité brûlante de l’Europe au monde des figures abstraites et du flou artistique. Le mélange étonne et détonne quand on sait que la peinture, n’avait jamais mêlé sa démarche artistique à ses opinions politiques.

Double sens

«C’est le résultat d’une rage» explique Anna Recker qui ne souhaite pas être vue comme une «eurosceptique» mais comme désireuse d’une autre Europe. Celle qui se revendique de la gauche ressentait le besoin d’illustrer sa mélancolie face aux signes de faiblesse de la construction européenne.

Que l’expo ait été vernissée à quelque jours du sommet de crise de la zone Euro n’est qu’une coïncidence, mais celle-ci risque de restreindre la marge d’interprétation des œuvres à une fenêtre de temps plutôt réduite. Il n’en reste pas moins que ces tableaux et dessins se nourrissent de l’actuelle crise européenne. Une peinture qui se trouvait «hors du temps» a rejoint le monde.

Le malaise que provoque ce virage est palpable dans des travaux plus abstraits. Dans ceux-ci le ciel se retrouve découpé en parcelles, des paysages de pierre se transforment en mirage dénués de substance. Comme si la part de beauté, présente depuis toujours dans l’œuvre d’Anna Recker, devenait plus difficile à porter.

La peinture a voué une grande partie de son œuvre à la construction méticuleuse d’un champ pictural bien précis. Elle souligne ici la fragilité inhérente à toute construction. Economique, politique ou artistique. Vincent Wilwers

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